jeudi 2 décembre 2010

Retour au collège

Le vote est sans appel, vous avez plébiscité "Une patate de trop" !
Merci à ceux qui ont voté pour les dessins et les gribouillages. Ils arriveront plus tard. Ou pas. Aujourd'hui ce sera donc... rédaction ! Hé oui, bande de coquins, comme au collège ! C'est une petite histoire sur laquelle j'ai travaillé dans le cadre d'un exercice de narration (ceux qui râlent, j'ai envie de dire, c'est bien fait. Y'avait le thème "femmes à poil" juste au dessus).

À ce propos, on va jouer à jeopardy ! Répondez correctement aux trois questions suivantes et vous aurez un gâteau (c'est un mensonge !) :
  1. Quel était l'énoncé qui a abouti à ça ? 
  2. Il manque un élément qui m'a été transmis par le prof mais qui est absent ici : lequel est-ce ?
  3. Il y a une allusion débile à un jeu vidéo dans l'énoncé de ce concours. Où et quoi ?

Mention spéciale à celui qui trouve le troisième point. Les réponses seront données en images  la semaine prochaine ! Je mets aussi en ligne un sondage pour savoir quelle version vous préférez. C'est pas si long : tout lire devrait vous prendre entre cinq et dix minutes selon si vous êtes forts ou pas.

Pour ceux qui espèrent encore trouver des jeux ici... C'est pour dans longtemps ! Après l'abandon d'un projet en flash dont je ne vous ai même pas parlé, j'ai eu mon premier sujet de l'école. Donc si je veux mon master, il me faudra bien pondre quelque chose d'ici le 17 janvier. Enfin, je dis "me", mais en fait on sera 9 sur le truc (deux game designers, deux graphistes, deux programmeurs, un ingé son, un ergonome et même une chef de projet). Techno imposée : Game Maker. Youhou...

Et maintenant, mesdemoiselles, "Une Patate de Trop".





Une patate de trop - 1

Je m’en sais capable. La grâce divine, j’y crois. La chance, je la tente. Je me revoie encore avec mes huit soeurs poser pour la photo à noël. Toute la famille est là : le jambon, les raisins secs. Même les cornichons sont présents, et tout le pot. À l’époque on me croyait folle. Je le suis peut-être. Ça m’empêche pas de rêver. Le fait est que tous se sont faits boulottés ce jour là et pas moi. Rien que pour ça, ça valait le coup d’être dérangée.

Tout a commencé le soir où j’ai rencontré cette fille aux cheveux rouges. Non, en fait, ça a vraiment commencé quelques jours avant, avec les quatre zigotos et leurs machines à penser. Un pauvre bourgeon dans un champ de patates, voilà ce que j’étais à l’époque. On devait être quelques dizaines de milliers dans mon cas. « Tu vois, la Russie, c’est là » qu’y disait l’un. « Non, non, ça c’est l’Angleterre », qu’y lui répondait, l’autre. « On s’ra jamais prêts ! On aura des piteuses ! Mais tais-toi donc, tu vois pas que j’me concentre ! » Et ça s’engueulait pour des broutilles comme ça des heures et des heures. Le bac, vous pensez bien que je savais pas vraiment ce que ça voulait dire à l’époque. Et puis d’un coup, on nous a sorties de terre, on nous a mises dans des sacs et les sacs dans un train et on nous a vendues sur un marché, dans une ville qui nous était de toute façon aussi inconnue que le patelin du paysan qui nous avait accouchées. J’aimerais vous dire que ça a été un jour merveilleux ou terrible, mais je dois reconnaître que je m’en souviens à peine. C’était l’ordre des choses, voilà tout.

C’est pas la fille aux cheveux rouges qui nous a achetées le lendemain, mes soeurs et moi, mais son mari, un type étrange avec de grands yeux verts, le front dégarni malgré deux touffes improbables de chaque côté du crâne et une pilosité faciale pour le moins étrange, comme trouée au milieu de la joue. Jusque là, j’avais vu surtout des femmes au marché. Le vendeur a pris un air inspiré, a fait tout un tas de calculs incroyables et a dressé le total, payé rubis sur l’ongle dans la minute. Quand je suis arrivée chez eux, la maison était coquette, propre, simple. La cervelle d’un chat idiot était tenue en échec par quelques bulles de savon malicieusement envoyées en l’air par madame, confortablement installée dans le canapé, à se ficher de la tête de l’animal. « Je vais préparer le repas pour ce midi ma chérie ! » C’est cette phrase qui a tout déclenché dans ma tête de patate. Je voulais – non : il me fallait – un mari pour aller au marché et me faire mes repas du midi. Et pour ça, il était clair que je devais passer mon bac d’abord. Une fois le diplôme en poche, j’aurai tout le loisir de me dégotter l’homme idéal.

La fille aux cheveux rouges a dû comprendre que j’étais différente. Après avoir pris la photo, elle a dit à son homme « Celle-là, laisse-la moi ». Il a pas trop compris, mais il n’a rien dit et mes soeurs et tout le petit monde bien posé là est parti en cuisine se faire beau et bien cuit pour le massacre dominical. La fille s’est mise à me parler. De celle qui lui parle ou de la patate qui répond, qui est la plus folle ? J’imagine qu’avec le bac en poche, on est suffisamment respecté pour avoir ce genre de comportement.

« T’es différente des autres, je le vois bien.
_ Toi aussi. T’as le bac et les cheveux rouges.
_ Comment tu sais que j’ai mon bac ?
_ T’as un mari, et c’est lui qui fait le sale boulot.
_ Tout juste ma p’tite. Ça te dirait d’en avoir un aussi à toi de mari ? Un qui fait ton travail à ta place ? Répond pas, je vois bien. Je connais un type littéralement à l’écoute de la nature qui ferait l’affaire. Mais avant, on va parler de Platon. »



Une patate de trop - 2

D’un coup, on nous a sorties de terre, on nous a mises dans des sacs et les sacs dans un train et on nous a vendues sur un marché, dans une ville qui nous était de toute façon aussi inconnue que le patelin du paysan qui nous avait accouchées.

C’est pas la fille aux cheveux rouges qui nous a achetées le lendemain, mes soeurs et moi, mais son mari. Jusque là, j’avais vu surtout des femmes au marché. Quand je suis arrivée chez eux, la maison était coquette, propre, simple. « Je vais préparer le repas pour ce midi ma chérie ! » C’est cette phrase qui a tout déclenché dans ma tête de patate. Je voulais – non : il me fallait – un mari pour aller au marché et me faire mes repas du midi. Et pour ça, il était clair que je devais passer mon bac d’abord. Une fois le diplôme en poche, j’aurai tout le loisir de me dégotter l’homme idéal.

La fille aux cheveux rouges a dû comprendre que j’étais différente. Elle a dit à son homme « Celle-là, laisse-la moi ». La fille s’est mise à me parler.
« T’es différente des autres, je le vois bien.
_ Toi aussi. T’as le bac et les cheveux rouges.
_ Comment tu sais que j’ai mon bac ?
_ T’as un mari, et c’est lui qui fait le sale boulot.
_ Tout juste ma p’tite. Ça te dirait d’en avoir un aussi à toi de mari ? Un qui fait ton travail à ta place ? Répond pas, je vois bien. Je connais un type littéralement à l’écoute de la nature qui ferait l’affaire. Mais avant, on va parler de Platon. »



Une patate de trop - 3

On nous a sorties de terre, on nous a mises dans des sacs.
C’est pas la fille aux cheveux rouges qui nous a achetées mais son mari. Quand je suis arrivée chez eux, la maison était propre. « Je vais préparer le repas pour ce midi ma chérie ! » C’est cette phrase qui a tout déclenché dans ma tête de patate. Il me fallait un mari pour aller au marché et me faire mes repas du midi. Et pour ça, je devais passer mon bac d’abord. La fille aux cheveux rouges a dit « Celle-là, laisse-la moi ».
« T’es différente des autres.
_ Toi aussi. T’as un mari, et c’est lui qui fait le sale boulot.
_ Tout juste. Ça te dirait d’en avoir un aussi ? Je connais un type. Mais avant, on va parler de Platon. »



Une patate de trop - 4

On nous a sorties de terre, on nous a mises dans des sacs.
C’est pas la fille aux cheveux rouges qui nous a achetées mais son mari. Quand je suis arrivée chez eux, la maison était propre. « Je vais préparer le repas pour ce midi ma chérie ! » C’est cette phrase qui a tout déclenché dans ma tête de patate. Il me fallait un mari pour aller au marché et me faire mes repas du midi. Et pour ça, je devais passer mon bac d’abord. La fille aux cheveux rouges a dit « Celle-là, laisse-la moi ».
« T’es différente des autres.
_ Toi aussi. T’as un mari, et c’est lui qui fait le sale boulot.
_ Tout juste. Ça te dirait d’en avoir un aussi ? Je connais un type. Mais avant, on va parler de Platon.»

On était en décembre quand on a commencé tout ça. Les six mois qui me séparaient de l’examen n’ont pas été de trop, mais finalement l’écrit est passé de justesse. C’est le jour de l’oral, quand j’ai compris que c’était devenu impossible – j’étais déjà vieille, et il n’était pas question de le repasser l’an prochain – que j’ai rencontré Maurice, un Doryphore recalé en Anglais. En nous voyant à deux, la jeune fille aux cheveux rouges à vite compris qu’elle devait partir. J’ai regardé Maurice, il m’a sourit et a commencé à me manger. Il aura fini dans quelques heures ; ça m’aura au moins laissé le temps de vous raconter ma vie. Je crois que je meurs heureuse.



Une patate de trop – 5

La récolte des hâtives s’était déroulée sans accroc. Marcel avait pris l’habitude de ressentir cette drôle d’impression en décembre – comme si certaines pommes de terre parlaient. On nous a sorties de terre, on nous a mises dans des sacs, voilà ce qu’elles semblaient dire. Il était rassuré quand il voyait partir le camion vers la gare de fret : d’accord, c’était la fin d’un boulot plutôt pénible, mais surtout il se rappelait à chaque fois les mots de son grand-père, qui soi-disant les tenait lui-même du sien ; « Ça éloigne les mauvais esprits qui voudraient se venger du traitement qu’on leur a fait subir ». On a beau savoir que tous ces contes pour enfants sont faux, on ne peut pas s’empêcher d’y penser le soir après une récolte où le légume n’a pas été ménagé. Un peu plus loin dans le champ encore tout retourné, Albert son petit fils et ses trois amis révisaient pour le bac.

Ce n’est pas Cathy, la fille aux cheveux rouges, qui a acheté le sac, mais son mari. Le repas devait être prêt à treize heures. Pour les invités, vous comprenez ? Cette année, ce sera un buffet, avec pommes de terre au four et charcuterie. Pas d’argent donc pas de chichis. Comme d’habitude, Cathy était tranquillement installée dans le canapé, en train de jouer avec le chat. Son mari lui a souri et annoncé qu’il allait préparer le repas. Un homme qui fait à manger pendant que sa femme joue, ça n’était pas vraiment inédit, même ici, mais on sentait dans le ménage que le contrat social ne précisait nulle part l’égalité au sein du couple.

Un regard. Pas un coup de foudre, mais une étincelle. Le fil magique qui lie deux soeurs s’était créé là, tout seul, comme d’un rien et sans raison apparente, entre Cathy et la neuvième pomme de terre. Un peu gênées, elles observent. Spectatrices ? Actrices de ce moment ? Quand on s’est reconnu, peut-on s’aborder ? Quand le charme nous cueille, doit-on faner dans la réalité ? « Celle-là, laisse-la moi. » De mémoire de pomme de terre, on n’avait jamais entendu ça. La grande patate cosmique s’est retournée dans les limbes, curieuse ou furieuse sans doute. Ma petite, tu t’apprêtes à parler à un légume, hé bien vas-y.

« T’es différente des autres.
_ Toi aussi. T’as un mari, et c’est lui qui fait le sale boulot.
_ Tout juste. »
Il fallait aller plus loin. Dans l’oeil de Cathy suintait comme une liqueur d’inédit. C’était beau et dégueulasse à la fois.
« Ça te dirait d’en avoir un aussi ? »

Croyez-moi si vous voulez, mais le féculent a pris un air pensif – plus exactement ses traits semblaient marquer une profonde réflexion. Pas le temps pour ça, Cathy, tu dois emballer la machine.
« Je connais un type. » Voilà. C’était dit. La pomme de terre n’avait pas vraiment acquiescé, mais on sentait que tout était plié. Il restait un détail. Le détail du bac. Le bonhomme dans la cuisine était du genre pas malin. La veille de leur mariage, Cathy lui avait annoncé qu’elle avait trouvé un emploi grâce à son bac. Ils avaient conclus qu’il s’occuperait des tâches ménagères. Ça ne l’embêtait pas plus que ça. Rapidement, la situation était devenue caricaturale, Cathy posant les pieds sous la tables dès son retour du travail à dix-neuf heures. Elle exigeait de lui tout un tas de services, des plus idiots aux moins avouables en passant par les franchement rébarbatifs. Dans sa tête, il n’y avait pas quarante solutions pour être heureuse : il fallait le bac et un mari crétin ; elle voulait le bonheur de sa nouvelle amie, alors elles ont commencé à parler de Platon et d’arithmétique, de reproduction sexuée, de la guerre d’Algérie – non, de la seconde guerre mondiale plutôt – et de langues étrangères.

C’est à l’oral que le lien s’est rompu. La pomme de terre s’était plutôt bien débrouillée à l’écrit. Mais on était en juin : on perd de sa fraîcheur en six mois. Cathy n’y croyait plus vraiment, et pas question de repasser ça l’an prochain. Un mouvement. Comme la cuiller s’écarte d’un pot de yaourt vide, elle a tourné le dos à son amie. Un doryphore passait par là.

10 commentaires:

  1. Je commence par l'allusion au jeu vidéo :
    "The cake is a lie" => l'excellentissime Portal, bien sur.
    Mes propositions pour les autres questions viendront au fur et à mesure...

    RépondreSupprimer
  2. Euh moi je n'ai pas repéré d'allusion à un jeu vidéo...

    Et je connais les réponses aux deux premières questions vu que tu me les as données...

    Et j'ai reconnu la fille avec le chat et les bulles :)

    Trop bien tes histoires mon chéri!! J'adoooore!! Mais la fin est trop triste pour moi...

    so

    RépondreSupprimer
  3. aaaah ton cadre de sondage est trop petit, il faut bouger les ascenseurs pour voir les résultats du sondage, c'est un peu dommage...

    so

    RépondreSupprimer
  4. Bravo Pat, je me doutais un peu que tu allais nous trouver ça :)
    Pour le sondage, j'ai pas vraiment de contrôle sur la mise en page, désolé !
    Et puis, c'est pas triste, c'est déjà une belle vie pour une patate !

    RépondreSupprimer
  5. C'est vrai, c'est vrai, c'est une belle vie...

    Elle aurait sans doute aimé rencontrer Julie la ptite olive, mais je ne pense pas qu'elles aient été produites dans les mêmes régions ni à la même saison!

    RépondreSupprimer
  6. C'est sympa ton histoire de patate, tu renies pas tes origines. J'arrive pas à me décider pour voter. C'est vrai qu'avec Julie l'olive, elles auraient pu finir ensemble dans un tajine.

    RépondreSupprimer
  7. Moi j'avais voté pour les filles nues...
    Et j'avais presque trouvé la référence à Portal (en fait j'avais plutôt pensé à Super Mario, mais en fait ça n'avait rien à voir...)

    Sinon je parie que l'énoncé c'était: "Écris une histoire" et que pour t'aider, ton prof t'a transmis une rondelle de saucisson, mais en fait tu t'en ai pas servi (ou, par homothétie et variations colorimétriques pour le décor en cornichons)

    Des bisous

    RépondreSupprimer
  8. Ouais, et comme c'est toi qui avais voté, ça compte x127 (ton âge exact dans 99 ans) et du coup les filles nues seront bien là dans un prochain post. Bien joué !

    Pour le sujet, tu as le début. En revanche, bravo pour la rondelle de saucisson. Pour la petite histoire, elle était accompagnée de mayonnaise que j'ai craché à la tête du bonhomme (parce qu'elle était à la fraise). L'histoire des cornichons, quant à elle, est un peu plus compliquée.

    RépondreSupprimer
  9. Juste une petite remarque: c'est pas SI dur de trouver une rime en INQ:

    dirrhynque, échinorrhynque, farenc, meissonenque, minque, ornithorynque, orthorrhynque, platyrrhynques, sisyrinque, zinc.

    mouahahahahah...

    anne so

    RépondreSupprimer
  10. Ok, c'est pas faux... Tu pourrais aussi objecter qu'il faut prononcer "Quartre".

    RépondreSupprimer